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Rompre le silence et trouver de la force : le cheminement d’une survivante du cancer et défenseuse des droits

Par Harjeet Kaur, patiente partenaire et défenseuse des droits

Quand mon mari et moi avons immigré au Canada en 2018, j’étais pleine d’espoir – l’espoir de me bâtir une nouvelle vie, une carrière et une communauté dans un pays synonyme de promesses d’avenir et de stabilité. Or, un an plus tard, tout a changé.

En août 2019, âgée de seulement 32 ans, j’ai reçu un diagnostic de lymphome T sous-cutané de type panniculite de stade 4 accompagné d’une lymphohistiocytose hémophagocytaire (LH), un cancer du sang agressif et ultra-rare. Ce qui s’est d’abord manifesté par des mois de fièvres, de fatigue et de fluctuations de poids inexpliquées a entraîné d’innombrables visites à l’hôpital, biopsies et examens avant que les médecins ne percent enfin le mystère. Et à ce moment, le cancer avait déjà bien progressé.

Le cancer en tant que nouvelle arrivante

Recevoir ce diagnostic en tant que jeune immigrante a été accablant. J’apprenais encore tout juste à m’y retrouver dans un nouveau système de santé, loin de ma famille élargie et des réseaux de soutien que je connaissais en Inde. Le sentiment d’isolement pesait lourd. Mes premières années au Canada, que je m’étais représentées comme une époque de stabilité et de croissance, devenaient une épreuve de survie.

J’ai immédiatement amorcé une chimiothérapie, et en avril 2020, au plus fort de la pandémie de COVID-19, j’ai reçu une greffe de cellules souches. J’ai passé 35 jours en isolement, sans la proximité de ma famille pour me réconforter. L’expérience a été l’une des plus difficiles de ma vie, mais elle m’a également enseigné le pouvoir de la résilience, de la compassion et de la communauté – des valeurs qui façonneraient un jour mon travail de porte-parole.

Affronter le silence au sein de ma communauté

En plus des répercussions physiques et émotionnelles du traitement, j’ai eu à porter un autre fardeau : le lourd poids du silence. Au sein de ma communauté sud-asiatique, on ne parle presque jamais ouvertement de cancer. La maladie est souvent entourée d’une aura de stigmatisation, de peur et de honte qui crée des obstacles quand il s’agit d’obtenir du soutien; il est même délicat de reconnaître son existence.

À mon retour à la maison, après ma greffe de cellules souches et des semaines d’isolement, le silence m’a paru encore plus assourdissant. Ma famille et moi ne savions pas parler de ce qui s’était passé – en fait, nous évitions entièrement le sujet du cancer, comme si le fait d’en parler pouvait raviver la douleur. C’est à ce moment que j’ai compris combien le silence est imbriqué dans notre culture, jusque dans nos relations les plus proches. J’ai également compris que la guérison n’est pas qu’une question de rétablissement physique. Pour guérir, il faut amorcer des conversations difficiles, rompre le silence et créer des espaces d’honnêteté et de soutien.

De patiente à défenseuse des droits

Mon cheminement vers la défense des droits a commencé après ma greffe de cellules souches, quand j’ai compris que mon histoire pouvait aider d’autres patients à se sentir moins seuls. Prendre la parole a été pour moi le moyen de trouver une raison d’être dans toute cette douleur et de chercher du soutien ailleurs qu’auprès de mon cercle immédiat.

J’ai commencé à raconter mes expériences sur mon blogue, puis sur les réseaux sociaux (Instagram : @hk_thriver), ce qui m’a permis de créer des liens avec des survivants et des proches aidants du Canada et du monde entier. Ces plateformes sont devenues des catalyseurs de croissance et de rapprochement. Dès lors, les possibilités se sont multipliées : j’ai endossé de nombreux rôles avec fierté, dont ceux de responsable bénévole d’ACT (équipe d’ambassadeurs) de la Société canadienne du cancer, de meneuse au sein du groupe Localife pour Young Adult Cancer Canada (YACC), de membre du conseil consultatif des patients et des familles du centre de lutte contre le cancer Arthur J.E. Child, de patiente partenaire pour le centre du cancer Riddle, et de patiente ambassadrice pour la Société de leucémie et lymphome du Canada. Chacune de ces implications me donne l’occasion de raconter mon expérience dans l’espoir d’insuffler plus de compassion, d’équité et de sensibilité aux soins de santé pour d’autres patients.

J’ai également cofondé Chai and Hope, une initiative de soutien par les pairs conçue pour ménager des espaces sécuritaires où parler en toute transparence de cancer et de survie au sein de la communauté sud-asiatique. Ce travail m’a amenée à participer à des tables rondes, à faire part de mes observations dans le cadre de conférences nationales, à collaborer à des projets de recherche et à travailler avec des fournisseurs de soins de santé pour que les patients aient voix au chapitre. Le point central de mon travail a toujours été l’équité en santé appliquée aux traitements contre le cancer, pour veiller à ce que les personnes de tous les milieux aient accès à des traitements et à un soutien de même qualité.

Mentors et communauté 

Au cours de mon cheminement, j’ai eu la chance de rencontrer des mentors qui m’ont incitée à comprendre la valeur de mon vécu. Des défenseurs des droits des patients, des professionnels de la santé et des meneurs d’organisations comme la Société de leucémie et lymphome du Canada et Wellspring m’ont soutenue et m’ont donné l’assurance nécessaire pour continuer d’avancer. Leur confiance en moi m’a rappelé que la défense des droits n'est pas l’affaire d’une personne, mais toujours le fruit d’un effort collectif.

Le regard tourné vers l’avenir

Aujourd’hui, six ans après mon diagnostic et cinq ans après ma greffe, ma vision de la survie s’est transformée : il ne s’agit pas que de rétablissement. Il s’agit de bâtir des ponts et de tracer des voies pour les autres, afin que personne ne se sente seul tout au long de ce cheminement. 

À l’avenir, je souhaite faire évoluer mon travail de défense des intérêts dans deux grandes directions :

  1. Combattre la stigmatisation présente au sein des communautés immigrantes et sud-asiatiques, afin que plus de patients puissent obtenir du soutien sans peur et sans honte. 

  2. Amplifier les voix des patients dans les soins de santé et la recherche afin que les décisions soient guidées non seulement par les données, mais aussi par les réalités des personnes vivant avec le cancer.

Le cancer a sans contredit changé le cours de ma vie, mais il m’a également investie d’une mission. En racontant ce que j’ai vécu, j’espère créer un monde où personne ne croit devoir affronter le cancer en silence, et où chaque patient se sait assez outillé pour prendre part à la conversation.