De l’ombre à la lumière La catharsis par la défense des droits des patients
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par Robert McDonald, partenaire et défenseur des droits des patients
Grâce aux nouveaux traitements et aux innovations dans le domaine de l’hémophilie et des troubles de la coagulation, nous avons enfin franchi un cap. La route a été longue et pour les patients comme moi, elle n’a pas toujours été facile.
Le commencement
On m’a diagnostiqué une hémophilie A grave à la naissance, en 1979, une époque où la prise en charge des épisodes d’hémorragie était très différente des normes de soins d’aujourd’hui. Les traitements étaient à visée curative plutôt que préventive – ils étaient administrés seulement après la survenue d’épisodes hémorragiques et nécessitaient toujours une visite à l’hôpital. Chaque traitement comportait des délais : attendre d’être admis et évalué, attendre l’arrivée du médecin, commander les produits thérapeutiques auprès d’un laboratoire et enfin recevoir la perfusion. Ce processus devait souvent être répété plusieurs fois par semaine et même plus fréquemment lors des hémorragies graves qui exigeaient des traitements de suivi en continu.
À l’époque, les produits utilisés pour le traitement étaient les transfusions de cryoprécipité et de sang total, des choix qui étaient loin d’être idéals. La peur, la honte et l’isolement étaient le lot des personnes atteintes d’hémophilie. Il fallait cacher cette maladie, la laisser dans l’ombre.
Puis les années 1980 furent frappées par une crise dévastatrice pour la communauté de l’hémophilie : le scandale du sang contaminé. Des milliers de personnes atteintes d’hémophilie et d’autres personnes qui avaient reçu des produits sanguins contaminés ont alors été infectées par le VIH et le virus de l’hépatite C. Ce scandale et sa couverture médiatique ont engendré une ignorance généralisée qui a été à l’origine d’une peur envers les personnes atteintes d’hémophilie. J’entendais les autres dire « Ne le touche pas, il pourrait saigner jusqu’à en mourir », ou avoir peur du contact avec mon sang lorsque je saignais du nez.
Cette période a laissé une blessure profonde chez les personnes qui, en raison de leur trouble de la coagulation, vivaient déjà une situation difficile.
Vivre dans l’ombre
J’étais trop jeune à l’époque pour m’en souvenir, mais ma mère, elle, se rappelle la peur qu’elle et mon père avaient éprouvée lorsque la clinique d’hémophilie les avait informés que j’avais reçu du sang provenant d’un lot s’étant révélé positif au VIH. Miraculeusement, je n’ai pas contracté le VIH, et j’en suis très reconnaissant encore aujourd’hui. Par contre, je n’ai pas eu la même chance en ce qui concerne l’hépatite C, que j’ai contractée à l’adolescence. Cet accident m’a incité, jeune adulte en quête d’identité, à choisir le silence et l’invisibilité.
À cette période, le doute et la honte ont façonné en grande partie l’image que j ’avais de moi-même. Je me sentais déficient, un fardeau pour ma famille. À certains moments, par exemple, lors de mes longs séjours à l’hôpital, j’ai constaté le lourd tribut qu’imposait ma maladie à ma mère, à mon père et à ma sœur. C’était déchirant. Toutefois, mes parents nous ont toujours enseigné la résilience. Cet état d’esprit m’a amené à lutter contre l’adversité et à aller de l’avant, même quand les difficultés me paraissaient insurmontables.
Un changement à l’horizon
En grandissant, j’ai appris à composer avec l’hémophilie, et mon point de vue sur celle-ci s’est mis à changer. J’ai cessé d’éviter l’activité physique. Comme la plupart des enfants, je voulais courir, chahuter, grimper, et jouer de façon musclée, mais dans mon cas, cela a eu pour conséquences des hémorragies douloureuses et beaucoup d’ecchymoses. Je me rappelle avoir essayé d’éliminer les saignements par ma seule détermination, souhaitant désespérément me sentir normal. Et lorsqu’on me disait « tu ne peux pas faire ceci » ou « tu ne peux pas pratiquer tel sport », cela n’avait pour effet que d’accroître ma volonté de passer outre. Je voulais encore plus prouver à tous – et me prouver – que rien ne pouvait m’arrêter et que j’étais capable de faire tout ce que mes camarades faisaient. Cela a fonctionné un temps – jusqu’à ce que les saignements inévitables me rappellent que la réalité avait des limites.
C’est durant cette période que la thérapeutique de l’hémophilie s’est mise à évoluer, ouvrant des perspectives d’espoir. Le traitement prophylactique, qui consiste à administrer des perfusions en prévention plutôt qu’après la survenue d’hémorragies, gagnait du terrain. Cette innovation n’était qu’un début, car nous disposons maintenant de thérapies géniques, de traitements par cellules souches, de perfusions sous-cutanées et de produits qui stabilisent la concentration des facteurs de coagulation. Des avancées remarquables ont été réalisées dans le traitement de l’hémophilie et la prise en charge des personnes atteintes de troubles de la coagulation.
Je suis maintenant entouré d’une équipe exceptionnelle à la clinique de traitement de l’hémophilie de l’hôpital de l’université McMaster. Cette équipe extraordinaire œuvre dans mon intérêt, m’encourage à suivre rigoureusement mon traitement prophylactique et répond à mes questions en matière de nouvelle technologie et d’options thérapeutiques. J’ai senti que le temps était venu de passer dans la lumière.
Passer dans la lumière
Je me sens investi d’une grande responsabilité et du devoir de donner à mon tour. Je le fais en participant à des essais cliniques, dans le but de faire progresser les soins pour les générations à venir et d’augmenter les chances de trouver un remède. En outre, encouragé par ma famille et mes amis, j’ai entrepris de raconter mon histoire publiquement à titre de conférencier dans le cadre d’événements et de nouer des liens avec les parents et les enfants.
Le temps est venu de passer dans la lumière.
Mon parcours en tant que conférencier a débuté lorsque j’ai été invité à raconter mon histoire dans le cadre d’un événement de l’organisme de bienfaisance Hope. Mon exposé visait à décrire mon parcours personnel relativement à la prise en charge et au traitement de l’hémophilie au fil des ans. J’ai été vraiment étonné du nombre de personnes qui sont entrées en contact avec moi par la suite pour me relater leur propre histoire, me poser des questions et faire un parallèle entre leur vécu et certains éléments de mon exposé.
Les patients peuvent entreprendre une action militante à n’importe quelle étape de leur parcours. Dans mon cas, parler de mon expérience n’a pas été qu’un privilège, mais aussi une grande source de libération émotionnelle et de guérison.
Le temps est venu de passer dans la lumière.
Rétrospectivement, je suis fier du chemin que j’ai parcouru; autrefois accablé par la honte et l’hésitation, je peux maintenant raconter mon histoire avec ouverture et vulnérabilité. Si mon témoignage peut aider ne serait-ce qu’une seule personne à se sentir comprise ou à prendre à son tour la parole, alors ma démarche n’aura pas été vaine.
Je souhaite poursuivre dans la voie de la défense des intérêts des patients, à nouer des liens avec la communauté, à combler les lacunes et à faire entendre la voix des patients en matière de soins et de santé.
Le temps est venu de passer dans la lumière.
J’entame à peine ce nouveau chapitre et, sans même savoir où cela me mènera, je me lance dans l’aventure. La fortune sourit aux audacieux – et nous vivons à une époque vraiment formidable!